La crémation face à l’interdiction de polluer.
Quasi inconnue au début des années 80, la crémation convainc désormais plus d’un tiers des Français. Ils sont même 40 % dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais la crémation pollue. Les crématoriums ont donc obligation, au plus tard cette année, d’installer des lignes de filtration empêchant le rejet de fumées dans l’atmosphère.
Dans le crématorium le plus récent de la région (il a ouvert en août 2015), les demandes sont sans cesse plus nombreuses. 470 crémations en 2016, 612 l’année suivante et déjà 321 depuis le mois de janvier 2018. « En moyenne, on en fait 50 par mois », calcule rapidement Amandine Duquesne, maître de cérémonie à Orchies.
Douce, souriante et affable, la jeune femme de 25 ans rompt avec l’image lugubre qu’on se fait encore parfois du métier. « Quand j’ai choisi cette voie, il y a deux ans, j’ai surpris mon entourage, avoue-t-elle. On imagine un métier difficile mais moi, je me sens utile. Je suis là pour rendre le plus bel hommage possible au défunt et pour apaiser la douleur des familles. C’est ma plus belle récompense. »
À Orchies, les crémations ne s’enchaînent pas à un rythme effréné comme dans d’autres établissements plus importants. « Une cérémonie ici dure entre 30 et 45 minutes. Je prépare ce moment deux ou trois jours avant avec les membres de la famille pour que tout se passe pour le mieux. Je leur conseille de choisir des musiques qui leur rappellent le défunt, ainsi que des textes déjà prêts ou plus personnels. »
Le cercueil, exposé pendant la cérémonie, est ensuite dissimulé derrière un épais rideau avant de prendre la direction du four. « Chaque établissement a sa méthode. Dans certains lieux, on voit le cercueil partir. Ici, on a préféré le rideau, c’est plus doux. Et ça marque symboliquement la coupure. » Les proches ont la possibilité d’assister à l’incinération par écran interposé mais rares sont ceux qui en font la demande. On comprend pourquoi. Ils quittent donc le crématorium et ne reviennent qu’une fois toute l’opération terminée. Une heure et demie en moyenne. Davantage pour les personnes très corpulentes.
Le cercueil arrive dans l’arrière-salle. Il est placé sur un chariot métallique avant d’être monté sur des rails, puis poussé dans le four par un bras métallique. La porte s’ouvre trente secondes, pas une de plus, et se referme sur le cercueil.
Deux brûleurs se mettent alors en route et d’importantes flammes ne tardent pas à envahir l’espace confiné. « On préfère les cercueils en pin ou en peuplier qui brûlent mieux et laissent moins de résidus, précise Amandine Duquesne. On demande également aux familles de faire attention à ne pas laisser avec le défunt d’objets à pile ou à batterie (pacemakers, cigarettes électroniques, téléphones mobiles…) qui provoquent des explosions dans le four. » Des dégâts qui, en plus d’être coûteux (60 000 euros), obligent les crématoriums à fermer trois semaines.
Une fois la crémation terminée et les cendres recueillies, les pièces métalliques sont récupérées et envoyées aux Pays-Bas pour être recyclées. « Tout le reste brûle ou fond, y compris les bijoux en or », affirme la jeune maître de cérémonie.
De nombreuses familles souhaitent malgré tout placer des objets personnels dans le cercueil (photos, dessins, objets fétiches…). « Des souvenirs qui partent avec le défunt et là aussi, c’est symbolique. »
Interdiction de polluer dès cette année
Le succès de l’incinération pose des problèmes environnementaux. Les solvants, les vernis des cercueils mais aussi les amalgames dentaires en mercure des défunts dégagent de nombreux produits toxiques : dioxine, monoxyde de carbone, oxydes de soufre, oxydes d’azote, composés organiques volatiles, acide chlorhydrique, acide sulfurique… La liste est longue.
En février 2010, l’État a publié un arrêté fixant « les quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère ». Un texte imposant à tous les crématoriums de France de se mettre aux normes au plus tard en 2018, en installant une ligne de filtration de l’air qui empêche le rejet de fumées. Coût de l’opération : 300 000 euros environ.
Pour mettre en place ce dispositif, les crématoriums qui n’étaient pas encore aux normes ont dû fermer plusieurs semaines et transférer les demandes vers d’autres structures. Ça été le cas par exemple à Roost-Warendin, dans le Douaisis, et Beuvrages, dans le Valenciennois. Conséquence immédiate : en février-mars, le crématorium d’Orchies a travaillé à flux tendu. « Sur le seul mois de mars, on a fait 120 crémations. C’est exceptionnel ! On faisait jusqu’à sept crémations par jour et il y avait quatre ou cinq jours d’attente », se souvient Amandine Duquesne, maître de cérémonie. Tout est désormais rentré dans l’ordre.
Ouvert il y a moins de trois ans, l’établissement d’Orchies était quant à lui déjà équipé d’une ligne de filtration. Ce qui explique en partie que les tarifs soient plus élevés que dans les autres établissements de la région.
Repères
- La crémation est autorisée en France depuis 1889 mais n’a été autorisée par l’Eglise catholique qu’en 1963. L’Islam et la religion juive interdisent toujours formellement cette pratique.
- Le premier crématorium du Nord - Pas-de-Calais a été inauguré à Wattrelos en 1981. À l’époque, environ 1% des Français choisissaient la crémation. Ils étaient même moins de 1% dans le Nord - Pas-de-Calais. Aujourd’hui, 37,5% des Français font ce choix. Ils sont encore plus nombreux dans le Nord - Pas-de-Calais (40%). Ce chiffre atteint même les 50% dans les zones urbaines, comme dans l’agglomération lilloise.
- On compte désormais 183 crématoriums en France dont 12 dans le Nord - Pas-de-Calais. Trois projets devraient voir le jour d’ici à 2020, à Rety, Hénin-Beaumont et Fourmies. Les crématoriums peuvent être gérés par les collectivités locales, comme dans la métropole lilloise ou dans l’agglomération de Lens-Liévin, ou par des entreprises privées. C’est notamment le cas à Orchies.
- D’après un sondage du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) réalisé en 2017, d’ici vingt ans, 52% des Français choisiront la crémation contre 25%, l’inhumation. 23% restent indécis mais « on pense que deux tiers d’entre eux s’orienteront vers la crémation », estime Maurice Thoré, le président de l’Association des crématistes du Nord de la France.
« Ne pas peser sur ceux qui restent »
Entretien avec Maurice Thoré, Président de l’Association des Crématistes du Nord de la France.
– L’augmentation des demandes de crémation est exponentielle, de l’ordre de 1,5 à 2 % par an. Comment expliquez-vous ce succès ?
« Il y a plusieurs facteurs. Philosophique d’abord. Les personnes qui font aujourd’hui le choix de la crémation sont celles de la génération baby-boom. Elles ont un attachement particulier à la nature et se retrouvent dans le slogan des crématistes : «la Terre aux vivants ». Social ensuite. Aujourd’hui, les familles sont beaucoup plus éclatées qu’avant et il y a la volonté de ne pas peser, même si je n’aime pas ce terme, sur ceux qui restent. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de souvenir. Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. Religieux enfin. L’Église catholique a longtemps été un frein à la crémation. Même si elle n’encourage toujours pas cette pratique, elle la tolère. Et puis les nouvelles générations sont aussi moins pratiquantes. »
– Combien coûte une crémation ?
« La taxe de crémation est d’environ 550 euros. Ensuite, ça dépend du choix du cercueil, de l’urne, du cérémonial… Tout compris, ça peut aller de 2 500 à 4 500 euros. Ça reste moins cher que l’inhumation puisque, à lui seul, le monument mortuaire coûte 3 000 euros. »
– Combien de temps dure-t-elle ?
« Ça dépend de la corpulence mais en moyenne, une heure et demie. Et on retrouve environ 1,5 litre de cendres. Les proches réclament désormais des rituels. Ils ont besoin d’un temps d’expression, d’une musique qui leur rappelle le défunt, ils veulent se recueillir… ça fait partie du travail de deuil. Et les crématoriums s’adaptent à ces nouvelles demandes en organisant des cérémonies. Il reste toutefois deux étapes difficiles, qu’il faut préparer : le moment où le cercueil part au four et celui de la prise de conscience de la crémation, quand on récupère l’urne. »
– Que fait-on des cendres ?
« On peut toujours les disperser en pleine nature ou au Jardin du souvenir, les placer au columbarium ou dans un tombeau de famille. Mais on ne peut plus les ramener chez soi à cause de tensions au sein de certaines familles. Depuis 2008, on a aussi une obligation de traçabilité. C’est-à-dire qu’on doit indiquer à la commune de naissance du défunt à quel endroit on va disperser les cendres. »
– Peut-on refuser la crémation d’un proche ?
« Pour la justice, ce qui prévaut c’est l’expression de la volonté du défunt. On conseille donc à nos adhérents de rédiger un testament. Ce qui peut arriver le plus souvent, c’est un désaccord entre les membres de la famille sur la destination des cendres. C’est pourquoi il est important de le préciser aussi dans le testament. Dans l’attente d’une décision, les proches peuvent laisser les cendres au crématorium, jusqu’à un an maximum. Passé ce délai, elles sont dispersées au Jardin du souvenir. »
Source : La Voix du Nord 10/05/2018 _ Karin Scherag
Date de dernière mise à jour : 22/05/2018